L’offensive ne faiblissant pas, il nous faut revenir sur la chasse à courre, expliquer ce qu’elle est, quel est son impact sur la faune sauvage et décrire son déroulement. Il ne s’agit pas de « défendre » cette chasse pour la bonne raison qu’elle est légale comme la randonnée, le ski de fond ou le vélo tout-terrain. On a le droit de ne pas l’aimer comme on a le droit de ne pas aimer le foot ou les courses hippiques. Mais la saboter est un délit. Faire peur aux chevaux, effrayer les chiens, s’en prendre physiquement aux veneurs est illégal comme est illégal le jet de bouteilles sur un terrain de foot. Certes et assez curieusement d’ailleurs les tribunaux condamnent rarement ces délinquants mais ce n’est pas une raison pour les excuser. Quand on est dans l’illégalité il faut en payer le prix.

Au coeur des mécanismes naturels

En quoi consiste cette chasse ? À découpler une meute de chiens qui va poursuivre un animal soigneusement choisi et tenter de le forcer, c’està-dire de l’acculer. À ce moment-là, le piqueur ou le maître d’équipage « sert » (tue) le cerf à la dague ou de plus en plus souvent à la carabine. C’est donc une chasse axée entièrement sur le chien. Ce dernier retrouvant son instinct de prédateur va courir derrière un animal et tenter de le prendre. Nous sommes donc au coeur des mécanismes naturels. La chasse à courre dépeuple-t-elle nos forêts ? Absolument pas. Ce n’est pas une chasse facile. L’animal ruse. Les chiens perdent « la voie » (la piste) et s’égarent bien souvent.

Un bon équipage de cerf prend une fois sur deux, un bon équipage de chevreuil une fois sur trois, un bon équipage de lièvre une fois sur quatre. Le cerf retient l’attention des opposants et des saboteurs car c’est un animal emblématique. Sommes nous en manque de cerfs dans nos forêts ? Pas du tout. Les forestiers font souvent des pieds et des mains pour que l’on en élimine davantage. Car cet animal mange les jeunes pousses. Cerf et forestier sont deux mots qui ne vont pas toujours bien ensemble.

Cette chasse est-elle réservée à une élite financière ce qui serait de nature à exacerber les jalousies ? Hé bien, non. Certes, pour être membre d’un équipage prestigieux il faut payer une certaine somme mais la chasse est ouverte à tous.

Dans nos campagnes, on l’appelle « la grande chasse ». À pied, en vélo, en voiture, ce sont des milliers de passionnés qui la suivent gratuitement.

Les chasses du comte Zaroff

Peu destructrice, populaire (du moins dans les milieux ruraux), cette tradition séculaire trouve ses racines au plus profond de notre histoire. Qu’est-ce qui peut pousser certains de nos compatriotes à vouloir l’éradiquer ? La réponse est simple : la supposée souffrance animale. Les détracteurs n’ont apparemment pas compris que la nature n’est pas un monastère. L’amour n’y a pas sa place. La sensiblerie non plus. L’empathie et la compassion pas davantage.

Les plus faibles succombent aux plus forts. La belette saigne ses proies. La buse éventre le lapereau. La fouine mastique l’oisillon. Pourquoi faudrait-il introduire des valeurs morales dans le milieu naturel ? Et prêter aux animaux une sensibilité identique à celle des humains ? Pourquoi faudrait-il les assimiler à l’homme ? Aucune raison a priori mais la confusion des genres avance à grands pas. Il n’y a plus de « petits » d’animaux mais des bébés, plus de géniteurs mais des « mamans » et des « papas ». La femelle ne met plus bas : elle accouche. Tout juste si on n’exige pas la péridurale ! Et l’animal ne meurt plus : « il décède ».

Dans ce contexte, acculer le cerf c’est acculer un être humain. Nous serions ainsi plongés dans l’univers des fameuses « chasses du comte Zaroff », où il s’agissait, dans un jeu sadique, de poursuivre à mort un pauvre bougre. La déviance est inouïe. Mais elle se banalise.

À la broche

Toutes les frontières semblent donc aujourd’hui abolies entre l’homme et les animaux. Enfin presque toutes… car il ne faut quand même pas toucher aux fondamentaux. La cuisine et la gastronomie par exemple. C’est ainsi que l’ardent défenseur du cerf, après avoir jeté des clous sous les pieds des chevaux et traité les veneurs d’assassins, ira, d’un coeur léger, déguster l’agneau. Dans son assiette le gigot reste un gigot.
Aucun rapport avec un animal vivant ni a fortiori avec un agneau mignon. Il ne se demandera pas comment « bébé mouton » est passé de vie à trépas, s’il a souffert, bêlé longtemps avant d’avoir été électrocuté ou égorgé. Il dégustera également avec délice le coquelet au vin jaune ou le porcelet rôti, deux mets dont il feint d’oublier l’origine. Encore deux « bébés » à la broche.

L’opposant à la chasse à courre peut occulter son raisonnement anthropomorphique quand il veut se faire plaisir. Une pincée de bon sens suffirait pourtant à balayer ces incohérences. Poursuivre un animal avec des chiens et espérer pouvoir le prendre est un art difficile, compatible avec les équilibres écologiques. Il s’inscrit parfaitement dans les rapports sains que l’homme peut avoir avec son milieu naturel.

Eric Joly


* Tout récemment en Bretagne, un piqueur voulant protéger ses chiens suite à l’arrivée d’un commando de militants abolitionnistes, est tombé avec son cheval qui s’est effondré sur lui. Grièvement blessé, il a été évacué en ambulance sous les applaudissements des militants.