Commission, Conseil et Parlement se sont accordés pour faciliter l’utilisation d’engrais organiques, qui souffraient d’un manque de cadre juridique. Le volume de métaux lourds autorisés est aussi revu à la baisse, mais sa mention sur l’étiquette n’est plus obligatoire. Un article de notre partenaire européen Euractiv.
Tous les ans, l’UE importe six millions de tonnes de phosphate, qui sont pulvérisées sur les cultures en tant qu’engrais. Revers de la médaille, le phosphate s’accompagne des substances et métaux lourds toxiques, comme le cadmium. Un constat qui soulève aussi bien des questions d’écologie et de santé que de dépendances géopolitiques.
Après deux ans de négociations, la Commission, le Parlement et le Conseil viennent de se mettre d’accord sur une série de mesures qui permettront de limiter les importations de phosphates, et d’encourager l’utilisation d’engrais organiques au sein de l’Union.
« Nous nous félicitons dans l’ensemble de cet accord, car il représente un équilibre qui permet à l’industrie des engrais minéraux d’aller de l’avant », a déclaré Jacob Hansen, directeur général de Fertilizers Europe, qui représente les fabricants d’engrais.
Avant cette révision, près de la moitié des engrais vendus dans l’UE n’étaient pas couverts par des textes de loi. Le règlement concerne les engrais commercialisables dans l’Union, leur étiquetage et leur emballage. Il a notamment été décidé de le revoir sous l’angle de l’économie circulaire, afin de favoriser les matières premières locales et recyclées.
« Les nouvelles règles incluent des limites raisonnables pour les contaminants et un accès au marché pour tous ces produits qui en étaient exclus. Une seule limite harmonisée est enfin mise en place au niveau européen pour tous les contaminants, notamment pour le cadmium, qui préoccupait le plus les États membres », s’est félicitée Elisabetta Gardini eurodéputée PPE, rapporteur de la commission de l’environnement.
Engrais organiques et recyclés
Les engrais « traditionnels », couvert par le règlement de 2003, sont généralement produits par extraction ou par des procédés chimiques gourmands en énergie et émetteurs de CO2. Ces engrais ont jusqu’ici un avantage sur les engrais organiques, plus respectueux de l’environnement, mais qui font l’objet de règles nationales divergentes et ne peuvent donc pas facilement circuler et être vendus.
Un vide que les nouvelles règles entendent combler, afin d’encourager l’utilisation d’engrais plus verts et novateurs, et d’offrir un plus grand éventail de produits aux agriculteurs.
« Aujourd’hui, la grande majorité des engrais organiques, des intrants pour sols et des engrais organominéraux ne sont pas en mesure d’accéder au marché unique européen. Grâce à cet accord, cela changera. Le nouveau règlement permettra à un plus grand nombre d’agriculteurs de l’UE d’avoir accès aux engrais organiques, ce qui les aidera à améliorer la fertilité des sols, la nutrition des plantes et la capture du carbone », s’est réjoui Felice Lo Faso, président du Consortium européen de l’industrie des engrais organiques.
Une décision à moitié acceptée par Fertilizers Europe. « Nous regrettons seulement que [ce] soit fait au détriment de la qualité des engrais minéraux », a indiqué Jacob Hansen.
En outre, les instituions entendent favoriser l’utilisation de déchets dans la production d’engrais, afin à la fois de participer à l’économie circulaire et de limiter la dépendance vis-à-vis des pays exportateurs de phytonutriments.
À l’heure actuelle, seuls 5 % des déchets organiques européens sont utilisés comme engrais. Pourtant, la valorisation de ces déchets permettrait de remplacer jusqu’à 30 % des engrais non organiques, selon la Commission.
Plafond pour les métaux lourds
Pour limiter les risques sanitaires et protéger l’environnement, il a aussi été décidé d’introduire des plafonds pour les métaux lourds contenus dans les engrais phosphatés. À la date d’application des mesures, les engrais ne pourront par exemple pas contenir plus de 60 mg de cadmium par kg. À moins de 20 mg de cadmium par kg, les engrais pourront aussi porter l’indication « faible contenu de cadmium ».
Une mesure sans fondement, pour la Copa-Cogeca, l’association des agriculteurs européens. « Les effets de la proposition faite par la Commission et le Parlement d’abaisser la limite de cadmium en dessous de 60 mg/kg ne sont pas étayées par des données scientifiques ni par aucune étude d’impact », se plaignait l’association quelques jours avant l’accord. Ses membres craignent une hausse des prix des engrais phosphatés « étant donné que les sources de roches phosphatées à faible teneur en cadmium sont plutôt limitées ».
Le secrétaire général de la Copa-Cogera, Pekka Pesonen estime cependant que « 60 mg est un bon compromis qui permettra de maintenir un marché concurrentiel tout en assurant une utilisation durable des engrais ».
Une opinion que ne partagent pas les organisations de défense de l’environnement. Pour Bérénice Dupeux, responsable agriculture au Bureau européen de l’environnement, la limite de 60mg/kg de cadmium est « choquante », car elle « fait passer les intérêts économiques avant la santé des citoyens et notre environnement » et « aggravera en fait la concentration de cadmium dans nos sols et […] la pollution de la mer ».
« Pour empirer les choses, ils ont également fait marche arrière sur la mention sur l’étiquette de la présence de ce métal lourd cancérigène et dangereux », souligne-t-elle.
Les plafonds devront être réévalués quatre ans après l’application des règles, afin de les abaisser, si possible. Les législateurs prévoient aussi des mesures et financements pour la gestion des déchets contenant du cadmium.
L’accord doit encore être confirmé par les ambassadeurs des États membres de l’UE (Coreper) et par la commission du marché intérieur du Parlement. Le projet de règlement sera ensuite soumis à un vote du Parlement lors d’une prochaine session plénière et devra être approuvée formellement par le Conseil des ministres de l’UE.
Manon Flausch – Euractiv France