Il y a aujourd’hui dix-neuf fois plus de sangliers qu’en 1973. Il s’en est tué à la chasse 750 000 lors de la dernière saison mais la population est estimée entre 4 et 5 millions de têtes sur le territoire. On voit des sangliers partout : le long des autoroutes, dans les jardins, sur les golfs et même dans les stations balnéaires. Cet été on a pu voir sur les réseaux sociaux une petite bande de sangliers s’ébrouer dans la mer à côté des baigneurs. Car l’animal n’a plus peur de l’homme qu’il croise en ville comme à la campagne. Cette situation ne plaît guère aux agriculteurs. « Quand les sangliers envahissent nos champs de maïs c’est la double peine, déclarait récemment Christiane Lambert, présidente de la FNSEA, au Figaro. Non seulement nos cultures sont déjà anéanties par deux mois de sécheresse, mais en plus les sangliers aggravent la chute des rendements. » Tout cela a un prix : une facture dégâts de 30 M€ (payée par les chasseurs).
Des voix s’élèvent donc pour demander aux chasseurs de ne plus faire de quartier. C’est amusant dans la mesure où il n’y a pas si longtemps on demandait aux chasseurs de bien gérer l’animal. Ils l’ont si bien géré qu’il est devenu aujourd’hui ingérable ! Il y a vingt ans, la prise de poids moyenne d’un jeune sanglier était de 2,5 kg par mois. Aujourd’hui, c’est le double. La faute au maïs. Aux agrainoirs bien remplis aussi.
Une laie en bonne santé et bien nourrie peut produire trois portées sur deux années civiles. La croissance des jeunes sangliers est de l’ordre de 130 grammes par jour. À six mois, il pèse 25 kg, 35 kg à 9 mois, 50 kg à un an, 70 kg à 18 mois pour atteindre les 100 kg à 2 ans.
L’animal s’adapte à tous les milieux. À Berlin, il se balade tranquillement dans les rues et en France il lui arrive aussi de sortir du bois pour aller se dégourdir les pattes dans les villages. Quand la végétation gagne, le sanglier gagne aussi. Dans le Var où la garrigue a progressé, on a tué 30 000 animaux l’an dernier. Ajoutez à cela la multiplication des zones non chassables comme les zones « Natura 2 000 », les parcs naturels ou les zones de protection du littoral et vous comprendrez que la bête noire voit la vie en rose. D’autant que le nombre de chasseurs continue à s’effriter de 2 à 3 % chaque année.
Il sait se défiler
Quoi qu’il en soit les chasseurs sont montrés du doigt. On les accuse de ne pas tuer la « laie meneuse » ni les laies en général, d’être trop rigoureux et d’avoir encore des réflexes conservateurs qui ne seraient plus d’actualité. « Tuez les tous, Saint Hubert reconnaîtra les siens » pourrait être la devise des amis des animaux (mais pas des sangliers).
Évidemment le chasseur a du mal à s’y retrouver. On lui a demandé de bien gérer, il a fait de son mieux. Aujourd’hui, on exige qu’il change son fusil d’épaule et abatte à tour de bras. Même si on multiplie les battues, il n’est pas du tout certain que l’on endigue le phénomène. C’est la qualité du milieu qui conditionne la bonne santé d’une espèce et quand celle-ci explose, la carabine a peu d’impact. D’autant que cet animal est extrêmement intelligent. Il peut vider un bois dès qu’il entend claquer des portières de voiture. Il sait parfaitement se défiler, reculer et disparaître. C’est la raison pour laquelle la chasse n’est pas une arme de destruction massive. Elle peut seulement éclaircir les rangs. Abaisser de 50 % la population actuelle de sangliers exigerait la mise en place d’un véritable plan ORSEC avec intervention de la gendarmerie, réquisition des chasseurs, empoisonnements massifs (comme pour le ragondin), destruction de larges pans de garrigue et même modification des cultures. Impensable.
D’ores et déjà des tirs d’été sont possibles ainsi que des tirs d’élimination sous le contrôle des lieutenants de louveterie. Que peut-on faire de plus ? Déclarer l’animal nuisible et le détruire toute l’année ? Là encore les résultats seraient minces eu égard à la prodigieuse fécondité de l’espèce. A-t-on éradiqué le ragondin ? Absolument pas.
Il faut ajouter aussi que les chasseurs aiment les sangliers. Ils n’ont nulle envie de jouer les mercenaires. Réguler certes, massacrer non. D’une part, cela ne servirait pas à grand chose ; d’autre part, ce serait bafouer toutes les règles d’éthique qui président à l’exercice de ce loisir.
Éric Joly