Dans certains pays de l’Europe de l’Est, c’est devenu une calamité. La peste africaine se répand comme une trainée de poudre. Pour l’instant, cette maladie hautement contagieuse – transmise par les sangliers – est présente en Pologne, en Lituanie, en Biélorussie et en Tchéquie. En janvier 2018, 759 cas d’infection ont été déclarés en Europe de l’Est, contre 304 l’année précédente. Alerte rouge aussi à Berlin. Les ministres de l’Agriculture des seize Länder allemands se sont réunis en urgence autour du ministre fédéral de l’Agriculture. Le virus est aux portes de l’Allemagne, et il menace le pays, premier exportateur européen de viande porcine.
La situation inquiète car, même si ce virus est inoffensif pour l’homme, il entraîne la mort des animaux malades en l’espace de deux à dix jours. Faute de vaccin, il peut détruire des cheptels entiers, comme ce fut le cas en Espagne dans les années 1960.
Côté chasse, la prévention passe par des abattages de sangliers. C’est ce qui s’est récemment passé en Pologne. Toutefois, le « principe de précaution » a ses limites. En 2014, lors d’une précédente flambée de la maladie en Lituanie, sur 1 500 sangliers abattus, 2 seulement étaient porteurs du virus. Mais les éleveurs de porcs sont tellement paniqués à l’idée que le virus puisse contaminer leurs élevages qu’ « on ne fait pas dans la dentelle ». Au grand dam des chasseurs qui trouvent que l’on en fait peut-être un peu trop. La Pologne a décidé de « mettre le paquet » pour réduire ses populations de sangliers. Six jours supplémentaires de congé par an vont être accordés au personnel habilité à chasser les bêtes noires. Et le ministère de l’Agriculture propose également une prime d’abattage. Ainsi, pour une laie prélevée et éviscérée d’au moins 30 kg, le chasseur se verra remettre la somme de 90 euros. Pas mal quand on sait que le salaire moyen en Pologne avoisine les 940 € mensuels.
En Tchéquie, sur tout un territoire du sud-est de la Moravie, les chasseurs et les gardes-chasses sont encouragés à abattre les sangliers. Ils peuvent avoir recours à des méthodes de chasse normalement interdites, par exemple à l’utilisation de lunettes de vision nocturne. Une prime de 1 000 couronnes (environ 40 €) est attribuée à chaque chasseur ayant abattu un sanglier, quel que soit son poids. Et on a réquisitionné des policiers pour participer aux battues !
Stabiliser le front sanitaire
Le résultat c’est que la chasse « touristique » dans les pays d’Europe de l’Est risque d’être touchée. On ne peut donc que conseiller aux touristes de bien se renseigner auprès de leur agence de voyages sur les zones sur lesquelles ils vont aller chasser.
Pour stabiliser le front sanitaire, Varsovie vient aussi d’annoncer une mesure choc : la construction d’un mur de 1 200 kilomètres à sa frontière orientale. Le Danemark, indemne de toute maladie, lui a emboîté le pas. Grand exportateur de viande de porc de l’Union européenne, le royaume veut lui aussi ériger une barrière le long de sa frontière avec l’Allemagne. La Pologne envisage une clôture en acier de 2 mètres de haut, en partie enfouie dans le sol. Le Danemark envisage, lui, une barrière végétale de 1,5 m de hauteur. «Tout ce que la clôture pourrait faire, c’est garder la maladie à l’intérieur de nos propres frontières», a déclaré, dubitatif, au Telegraph, Tomasz Podgorski, expert à l’Institut de recherche sur les mammifères de l’Académie des sciences en Pologne.
Le fait que le sanglier soit erratique et puisse parcourir de grandes distances est effectivement préoccupant. Il ignore les frontières. Un sanglier infecté pourrait ainsi contaminer de nombreuses régions. Les éleveurs de porc français craignent aussi les importations d’animaux vivants à des fins de repeuplement. Mais ces importations sont très contrôlées et restent marginales. L’Allemagne nous protège aujourd’hui, mais beaucoup pensent que ce pays sera touché inéluctablement.
Vigilance en France
En France, ce sont les chasseurs, dont certains sont formés pour examiner les carcasses, qui sont à l’avant-garde de la surveillance. S’ils ouvrent une carcasse et voient de grosses plaques rouges, ces plaques hémorragiques typiques de la peste porcine africaine, ils l’envoient en analyse. Pour l’instant, rien à signaler, mais les réseaux sanitaires restent mobilisés.
La réaction des gouvernements des pays d’Europe de l’Est est-elle excessive ? Faut-il vraiment procéder à des abattages massifs de sangliers ?
On a vu lors d’une épidémie précédente que les taux d’infection des animaux abattus étaient très bas. C’est donc une question que l’on peut poser même si cette maladie est effectivement très contagieuse et qu’elle fait peur aux éleveurs de porcs.
Rappelons quand même que la peste porcine africaine est présente en Sardaigne où elle est endémique depuis des dizaines d’années chez les porcs ensauvagés et les sangliers sauvages.
Eric Joly